L'initiation à la magie
Un homme, obsédé par les pouvoirs mystérieux de son ami, force celui-ci à l’initier à la magie, mais son impatience et ses erreurs le plongent dans une expérience terrifiante où il découvre trop tard que certaines portes ne doivent jamais être ouvertes.
Il venait encore de poser un geste mystique, non pas le moindre, plus étonnant que celui accompli l’autre jour. Dès cet instant, le Mayien (habitant de Mbuji-Mayi) fut une seconde fois bouleversé de plus belle. Ne pouvant plus continuer à obéir aux ordres de la voix de son silence, à la sortie de la Faculté, chemin faisant, il lui laissa entendre :
- Tiens ! Avoue donc, par quel mystère cela s’effectue ?
Il n’avait pas encore laissé s’exprimer les dernières syllabes de son interrogation que le Lushois l’interrompit aussitôt :
- Qu’importe ! Laisse donc s’en aller balader ta question.
Tard dans la nuit, sur le lit de son sommeil, tout son être s’accorda à repenser à l’alchimie de la journée, et son esprit ne cessait de vaciller au-dedans de lui. Il faisait hiver, néanmoins il se débarrassa de sa couverture en soie, raviva les luminaires de sa chambre, ternis depuis peu, et esquissa les cent pas alentour du matelas de ses sommeils. À l’issue d’un moment, il se rendormit.
Il faisait 17 h lorsque, le jour d’après, ils quittèrent la Faculté vers leur domicile. Chemin faisant, l’autre réentama ses longues instances à son ami-collègue. Il réfuta une nouvelle fois sa demande. Loin de lui l’idée de se tenir pour battu, il se promit de la renouveler la fois venante.
Puis vint un nouveau soir. Fatigué d’être importuné par cette seule demande cent fois le jour, le Lushois n’eut nul autre choix que de céder, oui, céder, pour ne pas que l’autre, son ami, ne lui vînt sans répit lui rompre le cou. Cela ne fut point sans quelque condition : après avoir achevé les épreuves à venir dès la semaine suivante.
Deux semaines s’écoulèrent au robinet du temps. Au cours de la troisième, en sa fin, le rendez-vous tant quémandé fut fixé dans le logis du Lushois. À cette occasion, il lui dressa une complète liste de ce qu’il leur fallait :
- Un nombre précis de tiges de bougies cramoisies
- Une quantité connue de pièces d’allumettes neuves
- Quelque morceau d’un tissu léger à couleur funeste
- Des cornes de bélier, et bien d’autres nécessaires comme cela.
Plus que tout, il mit une si particulière insistance sur le respect de l’heure d’arrivée : midi pile.
Cette sordide envie de devenir comme son ami-collègue naquit dès le jour qu’il le vit, grâce aux pouvoirs lui venus d’on ne sait quel éther, transformer des galets en sucreries, de l’argile en chocolat, des graviers en sucettes à la menthe fraîche, ou encore en maïs sautés. Comme si tout cela ne le suffisait pas, il allait jusqu’à faire mûrir un manguier tout vert en pleine saison de froid.
Beaucoup tôt matin, il s’éveilla ; et alors qu’il pensait sortir afin d’aller chercher la liste dressée, il remarqua, comme par hasard, un livre sur son chevet. Sans le prendre, de sa main droite, il l’ouvrit :
« Or, les œuvres de la chair sont manifestes, ce sont l’impudicité, l’impureté, la dissolution, l’idolâtrie, la magie, les inimitiés, les querelles, les jalousies, les animosités, les disputes, les divisions, les sectes, l’envie, l’ivrognerie, les excès de table, et les choses semblables. Je vous dis d’avance, comme je l’ai déjà dit, que ceux qui commettent de telles choses n’hériteront point le royaume de Dieu. »
Dieu seul sut ce qui le poussa à interrompre brusquement sa lecture.
Il arriva au domicile de son ami, muni d’un sachet contenant des choses achetées comme nulle part recommandées. En effet, au lieu et place des matériels listés selon que sa demande en faisait besoin, hélas ! son enthousiasme démesuré lui fit rendre culte à l’excès. Il doubla le nombre d’allumettes, tripla la quantité des bougies, et cetera comme cela pour le reste de la liste, le fragment du tissu excepté. Comme il y eut une si spéciale insistance sur l’heure d’arrivée : midi pile, il l’anticipa de deux heures plus tôt. Ce fut là, de sa part, l’immense erreur qui le guida vers l’entame de l’échec.
En fin de cette semaine-là, le jeune magicien accompli venait à peine de quitter sa chambre à coucher lorsqu’à sa plus grande surprise, il vit soudain son ami débarquer. Fort ahuri, il laissa tomber l’idée de brosser ses gencives, regarda son poignet et lui demanda :
- Aussitôt ?
- En effet. À voir l’énergie avec laquelle tu martelais le respect de la ponctualité, j’ai ainsi résolu de pouvoir l’anticiper. Le temps pour nous de babiller en patientant l’heure.
Il n’avait pas encore achevé de dire lorsque son collègue lui arracha les dernières syllabes de son argument. Ce dernier semblait avoir cette manie de couper sèchement aux autres la parole. Était-il télépathe, ou était-ce parce qu’il était si brillant au point de comprendre à la vitesse de l’éclair jusqu’où pouvaient chuter les idées de son interlocuteur ? Qui donc saurait ?
- Ce n’est point ainsi que nous le recommande la tradition. Cela porterait atteinte à la sacralité des lois que d’observer les matériels sans rien en faire. Hâte-toi d’entrer, allons droit à l’essentiel.
L’expression faciale de l’initiateur, qui peu auparavant brillait, fut d’emblée absorbée par une colère noire, noire, comme derrière l’antiquité. L’autre fut apeuré et joyeux au même instant. Il lui remit le sachet aux couleurs de zèbre, et tous deux s’engouffrèrent dans la maison.
Grand fut encore son étonnement lorsqu’il fit constat d’un gros tohu-bohu dans le sachet. Tout fut acheté à l’envers, sauf le morceau de tissu. Il s’irrita de pire encore. Son visage devint semblable à celui d’un vieillot vieilli d’une vieillesse des siècles. Il poignarda son ami d’un regard fort tranchant, mais se garda de prononcer une quelconque parole. Y ayant choisi uniquement ce dont il faisait besoin, il dénigra le superflu.
Étalant le morceau de tissu au milieu d’eux, face à face ils s’assirent sur leurs talons. Quatre cierges faisaient flamme aux quatre coins du petit drap, une au cœur, chaque autre chose à la place qui lui échait. Frottant ses paumes, les yeux révulsés vers le plafond, le jeune magicien prononçait de façon entrecoupée une suite de mots dont lui seul savait le pourquoi.
Au milieu d’un silence profond, sans crier gare, il lâcha brusquement un cri fort strident. Gouverné par une peur indicible, l’autre eut l’idée de prendre la poudre d’escampette. Ayant deviné l’intention de son disciple, le maître le fusilla d’un œil grondant, suivi d’un hochement de tête au ralenti, comme pour dire :
- Surtout pas cette bêtise en de tels moments. Tu ne t’en vas nulle part, mon ami. Reste là.
L’autre ne tarda pas à remettre son autre genou au sol.
Au bout d’un laps, la pièce fut portée dans une balançoire de silence absolu. À l’instar de Madame Elombe, le mur du côté sud tomba. Le futur initié se mit à transpirer, trembler, grincer des dents ; son cœur dans sa poitrine s’entrechoquait, tant il était sous l’onction de la peur. Au moment qu’il battit encore des paupières, celui du côté est s’écroula, suivi de celui du nord, enfin de l’ouest, et le toit les recouvrit.
Aussitôt cela fait, ils se virent sprintant sur une droite et étroite route : de gauche à droite, une savane morte que personne d’autre, à part eux, ne voyait.
Dans ce nouvel univers, comblé de tout pour nous effrayer, s’arboraient çà et là des arbres tout secs dont la sève et le feuillage semblaient maudits mille ans auparavant ; certains en I, d’autres en Y, d’autres sciemment troués par une animosité insolite. Le sable de ce sentier était si profond et si brûlant à cause de l’ardeur de ce soleil presque infernal.
Dès lors, l’allure de la marche se fit plus rythmée. Durant de longues heures, ils sprintèrent sans ménopause jusqu’à ce qu’ils arrivèrent à l’endroit où le disciple, à bout de souffle, souffla :
- S’il te plaît, prière de marcher à la normale…
Avançant droit devant lui, son ami resta coi. Au même tempo, ils avancèrent encore dans la même direction, continuèrent encore des heures nettes. En dépit de l’absence de réponse, il osa, malgré lui, une seconde fois :
- Qu’il te plaise, cousin (comme ils s’appelaient affectueusement), de ralentir, ne fût-ce qu’un bref délai.
En dépit de cette autre demande, l’autre garda toujours ses lèvres bien coites, se dépêcha, front plié, nez fixé dans les nuages, comme s’il recevait une vision directe. Rien n’y fit, nullement. La marche macabre garda son tempo de fer tel quel. Le mystérieux périple, comme le sentier brûlant, parut, -oh mon Dieu-, interminable.
Au bout d’autres kilomètres sans pause, ne pouvant plus se contenir, il osa une nouvelle fois parler :
- Tempère, ne fût-ce qu’un tout petit peu, je te prie, je suis foncièrement essoufflé.
À cette nouvelle insistance, il eut enfin l’amabilité de lui répondre. Lorsqu’il ouvrit la bouche, il garda toujours ses yeux fixés dans les nuages pendant qu’il lui laissait entendre ce qui vient :
- Au niveau que nous sommes, et à l’heure qu’il est et au temps qu’il fait, nous ne pouvons plus ni accélérer ni ralentir moins que ceci. La vitesse doit être maintenue telle quelle.
Powered by Froala Editor