Et ce fut le silence
À un poste frontière noyé dans le brouillard, un policier découvre avec stupeur que la passagère d’une voiture qu’il laisse passer n’est autre que sa propre femme, partie depuis longtemps avec un autre homme, et reste seul face au silence qui suit leur départ.
La voiture ralentit et s'arrêta dans le brouillard devant la barrière du poste frontière.
Un bras d'homme, dont la main tendait deux passeports, passa par-dessus la glace baissée de la portière. Un policier en uniforme prit lesdits passeports, les ouvrit et les feuilleta rapidement. Le soleil filtrait de temps en temps au travers du brouillard et des hautes montagnes encore toutes couvertes de neige, bien qu'on fût en juillet. Le policier rendit les deux passeports à la main qui les attendait, et fit signe à son collègue de lever la barrière. La voiture passa.
On entendit durant un moment le bruit de son moteur qui allait décroissant, passant du vrombissement au ronflement. Et ce fut le silence. Deux touristes allemands passèrent une demi-heure plus tard, tous deux en pantalon, tant et si bien qu'on ne parvenait pas à distinguer lequel des deux était la femme. Puis, tandis qu'il déjeunait dans le petit poste avec ses deux collègues, le policier entendit une voiture, et sortit.
C'était une belle, une très puissante voiture à deux places, basse sur pattes et aussi plate qu'une limande. Un bras passa par-dessus la glace baissée de la portière, et une main présenta deux passeports. Le policier les prit, les regarda et jeta un coup d'œil à l'intérieur de la voiture : le vieil homme robuste, encore très vert, qu'avait bronzé le soleil des montagnes, et qui se tenait au volant correspondait très exactement à la photo : c'était un important ingénieur de la région, fort riche et grand coureur de jupons. Près de lui se trouvait une femme que le policier avait immédiatement reconnue, avant même d'ouvrir son passeport. D'autant que c'était la sienne. Oui, sa propre femme, dont il était séparé depuis des années et qu'il ne voyait plus depuis fort longtemps, mais qu'au sein de cette glaciale solitude alpestre, il avait si souvent rêvé de revoir, si seulement elle avait été moins volage.
Il ne savait trop quoi dire. Au reste, il n'y avait rien à dire ou, peut-être, beaucoup trop; mais cela aurait été parfaitement inutile. Il rendit les deux passeports à la main qui les attendait et fit lever la barrière. La voiture franchit la frontière. Le policier demeura un moment immobile, à écouter le vrombissement, puis le ronflement du moteur. Et ce fut le silence.
Titre original : Poi il silenzio
Scerbanenco
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